Poupée de sang

    • May 19 –  June 22, 2022
    • Text by Thomas Conchou (see below)
    • Santa sangre, 2021, HD film, 35:00 min, colour/sound
      Courtesy of the artist and Centre d’Art Contemporain Genève – Biennale de l’Image en Mouvement 2021
    • Installation views
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    Mutatis mutandis
    Ici je veux des dents
    Que ton poil se hérisse
    Qu’il coule dans ton sang
    La fureur et le vice,
    Mutatis mutandis
    Que brûlent dans son coeur
    La haine et l’avarice
    Et prend du prédateur
    La sinistre pelisse

    Juliette, Le sort de Circé (2005)

     

    • Pour sa première exposition personnelle en France, Sabrina Röthlisberger Belkacem présente un ensemble d’œuvres existantes et de nouvelles productions rassemblées sous le titre Poupée de sang. De la sculpture à la poésie, de la performance à la vidéo, et plus récemment vers la musique et la peinture grand format, la pratique de l’artiste ne cesse de s’étendre et de se renouveler. Et pour cause, la question de la transformation y est centrale. Ses œuvres sont habitées par des personnages dont les dons extraordinaires n’ont d’égal que les malédictions qui les affligent. Le glamour[1] des sorcières, ce don de métamorphose, y est relu à travers le prisme de la monstruosité en tant que force émancipatrice.
    • Santa Sangre (2022) est un film conçu et réalisé par Sabrina Röthlisberger Belkacem sur le mode des albums-vidéo popularisés par l’industrie musicale des dix dernières années. Huit poèmes chantés composent une fresque macabre dont l’artiste interprète le personnage principal et la bande originale, qui mélange spoken words, pop-rock, chanson et trap music. Des scénettes viennent illustrer chaque morceau, alternant entre la vision subjective du cinéma d’horreur et l’excès de travelling aériens de l’esthétique Youtube. La phrase d’ouverture, “maybe you deserve me at my worst[2], vient cueillir le spectateur tandis qu’il observe un personnage se faire dépouiller de ses santiags. Dès la première scène, un acte moralement réprouvé – mais peut-être nécessaire – vient nourrir la dimension contestataire du film. Dans cette fable punk et misandre, Santa Sangre veut faire sauter les injonctions oppressantes qui l’étouffent. Tour à tour ingénue et succube, menaçante, vindicative ou vulnérable, elle raconte le sentiment de dépossession de soi par la pauvreté et la maladie, le mouvement entre pulsion de mort et plaisir de vivre, et l’envie compulsive de revanche envers les hommes, les riches et la société.
    • Adapté des poèmes écorchés de l’artiste, publiés en partie dans son recueil Le Sang, le film comme son héroïne cherchent une éthique de la colère et de la rage : contre le sort et l’injustice, contre l’oppression et la violence systémique, contre la bien-pensance bourgeoise et la normalité. Sabrina Röthlisberger Belkacem, accompagnée de ses ami·exs, y chante le désespoir, l’exaltation et la honte, “impossible à contenir”, sans pour autant oublier de se mettre en scène dans des célébrations sensuelles et jouissives, en poète studieuse ou martyr sacrifiée. On y retrouve l’attrait de l’artiste pour les créatures, avatars d’une transfiguration libératrice comme de l’angoisse de la décrépitude, ainsi qu’une pratique de sampling azimuté qui ne fait qu’une seule bouchée de Mylène Farmer et de PNL.
    • Pour Poupée de sang, Sabrina Röthlisberger Belkacem réalise un triptyque inspiré de la légende d’Athéna et d’Arachnée, selon laquelle une tisserande téméraire ose clamer ses mérites devant la déesse – qui la met au défi de prouver son talent. Dans son orgueil, Arachnée représente les nombreuses transformations de Zeus, souvent propices à la séduction ou au viol de mortel·les. La tapisserie, parfaite, et son propos enragent Athéna. Effrayée par sa colère, Arachnée tente de s’ôter la vie mais est changée en araignée par la déesse et paie ainsi le prix de son impertinence. Pour l’artiste, l’opprobre de la déesse et la transformation d’Arachnée est en fait une chance pour la tisserande qui peut désormais compter sur huit bras, plutôt que deux.
    • Installées dans l’exposition comme dans une conversation entre amies, Clotho la Menteuse, Lachésis la tricheuse, et Atropos la voleuse (2020) continuent de filer le commentaire de l’artiste sur les comportements socialement réprouvés qui participent pourtant de stratégies de résistance (tricher, voler, mentir). Reflétant le caractère hésitant des divinités entre merveilleux et monstrueux, les trois parques livrent aussi une réflexion sur l’aspect normatif de la féminité et ses contradictions.
    • Enfin, bouclant la boucle des transformations, l’artiste se fait elle-même tisserande, et vient déposer dans l’espace de la galerie des toiles de chaînettes dans lesquelles des papillons semblent s’être empêtrés. Intéressée par le bijou et l’ornement comme un acte d’amour et de générosité, Sabrina Röthlisberger Belkacem adorne de pendentifs les recoins où se trouvent d’habitude la poussière et les toiles d’araignées.
    • Thomas Conchou
    • mai 2022
    • [1] le terme glamour, importé du gaélique, est relatif dans les contes écossais au pouvoir de modifier son apparence.
    • [2] “peut-être que tu mérites le pire de moi”, je traduis
    • Sabrina Röthlisberger Belkacem lives and works in Geneva.
      Born in 1988, in Haute-Savoie, Sabrina Röthlisberger was trained at the Geneva University of Art and Design (HEAD), a program completed in 2016 with a postgraduate degree in Fine Arts.
      Through painting, sculpture, video and performance, she looks at the otherness of memory to unveil the links between power, fascination and art. Her work often combines references to the history of symbolism –  and as well allusions to her own history and social identity.Recent solo exhibitions include : Sabbatum fever, Kunsthalle Osnabrück (D); I am Santa Sangre, Wynx Club, Zurich; Regarder sans être vuexs, Urgent Paradise, Lausanne; LE SANG, Centre d’Art Contemporain, Geneva; Once upon a time: a flat of one’s own, Alienze, Lausanne; L’heure sacrée, 186f Kepler, curated by Jeanne Graff, NY.
      Recent group exhibitions include : BIM’21, Biennale de l’Image en Mouvement, Centre d’Art Contemporain Genève, Geneva; The many faces of god·dess, Maison Populaire, Montreuil; Teach yourself to fly, Live in your Head, Head, Geneva; En douce, Gaudel de Stampa, Paris; Swiss Art Award, The Kiefer Hablitzel, Basel; Exode, The Oran Biennale, MAMO (DZ).