06/04/2024
une exposition de Christophe de Rohan Chabot
avec K. Desbouis
du 11 avril au 18 mai
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an exhibition by Christophe de Rohan Chabot
with K. Desbouis
April 11 – May 18
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06/04/24
une exposition de Christophe de Rohan Chabot avec K. Desbouis
texte d’Estelle Marois
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06.04.2024 ouvre le 11 avril 2024. C’est une date qui donne son titre à l’exposition de Christophe de Rohan Chabot, avec une aridité bureautique qui la réduit à l’anecdote. Or, quand la date fait titre, le titre fait événement. Elle suffit au teaser, ce déclencheur d’excitation, dont l’emphase ne tient qu’à la virtualité suggestive d’une formule laconique, retenue. Le save the date, c’est la promesse mesurée d’un hors-mesure. L’exaltation se provoque d’autant mieux que le chiffre fascine : opérateur des systèmes de cryptage, il glisse dans l’art divinatoire ; il devient cette valve entre nous et l’incommensurable.
La démarche est ici autant empirique que spéculative : placement maîtrisé, économie formelle, titres descriptifs, 06.04.2024 est planifiée avec la rigueur d’un protocole expérimental. Les fonds ont une netteté clinique qui permet aux signes de se détacher comme sur des lames de microscope en plexiglass ou des planches de dissection en aluminium. Mais il y a un mystère du neutre, et Christophe semble y avoir laissé le point de départ de sa recherche. Le fond noir fait retour dans son travail, celui du camouflage qui ne laisse deviner nulle présence, sinon la dissolution dans l’aplat d’une entité indénombrable et innommable. Même le fond doré d’Untitled (rhinestones, gold, aluminum) confond à sa surface, selon les principes de l’icône, lumières picturale et physique – partout, simultanées, c’est-à-dire sans source. Chaque fond noir s’est vu attribuer une texture différente. Untitled (black aluminum) offre un écran mat, impénétrable et éteint. C’est l’image-camouflage au lissage absolu, qui a absorbé ses grains. Untitled (black frame, plexiglass, black printed foil) est un carré réfléchissant. La charge préexistante, diffuse sous la surface opaque, se double d’une projection, à la surface du plexiglass. À vouloir y mieux voir, en isolant le grain, on a épaissi le mystère. D’ailleurs, on pixelise pour flouter, puis on reconstitue en intégrant des images similaires, nous éloignant davantage de l’image-source. Le pixel ensevelit à jamais ses secrets sous la dalle d’un aplat uniforme, doublée d’un simulacre. Enfin, les strass de Untitled (rhinestones, silver, black, heart) se rassemblent en rectangle noir, comme autant de pixels LCD ou de diodes LED. Un cœur, issu du détourage d’une image trouvée sur internet et agrandie, expose le grain de ses contours. L’image dé-lisse son pavage structurel, le dissèque en milliers d’unités chacune décomposable.
Un lieu qui intrigue Christophe est l’espace duty free du terminal d’aéroport. Les cadres noir ou aluminium jouent les portiques de sécurité ou les portes d’embarquement, confinant un espace surveillé. Les œuvres-écrans sont des portails vers des ailleurs trompeurs : la signalétique des aéroports utilise les mêmes codes graphiques pour informer et pour promouvoir. La trichromie noir-jaune-blanc des panneaux d’information
de vol se confond avec les teintes noires et or des rayons cosmétiques et les brillants des étals de bijoux. En amont, Untitled (Ass – red – black glossy) fait signe, panonceau de signalisation ou enseigne figurant un logo (ce forceur d’attention dont Christophe accentue la brutale immédiateté par une textualisation obscène). L’itinéraire voyageur est comprimé dans l’expérience client. Un lieu-image en somme, dont les méandres, chatoiements et ambivalences arrondissent et dissimulent le quadrillage contrôlé – que l’exposition exhume, de même qu’elle rappelle, par les formats des quatre œuvres de la seconde salle, la savante standardisation des bagages, panneaux, vêtements, qui se présente sous l’apparence de la diversité. Zone internationale où se croisent à l’instant T des individus branchés sur les fuseaux horaires du monde entier, le duty free compresse l’espace-temps, terrain d’expérimentation total pour l’abstraction de lois générales.
K. Desbouis présente Untitled (Snowflakes series), dans la première salle, «antéposée» à l’espace expérimental, comme si elle en était l’hypothèse. Elle se compose de deux balles de mêmes dimensions, recouvertes de fourrure, et entre lesquelles se boucle une ceinture en cuir.
Le duvet, le bouffant et la douceur de cette double et littérale «boule de poils» nous font pénétrer dans le domaine de l’excessivement mignon, de l’objet (peluche) ou du corps (animal de compagnie) réconfortant, à totale disposition. C’est peut-être un jouet pour chien, mou et mâchouillable à loisir – en vague forme d’os, sans qu’on sache bien si c’est au propriétaire du jouet ou au propriétaire du propriétaire que cela plaît. Dans cette réduction «à notre bon plaisir», incertaine et sous les crocs, le collier devient accessoire BDSM, qui étrangle ce toutou grotesque, enflé comme une charogne, et qui excite, à l’instar du fluffer («gonfleur») d’une équipe de film porno, le vrai stimulant, le souffleur des coulisses, le double de l’ombre.
Car Untitled (Snowflakes series) mobilise la question du double. Chaque flocon de neige est unique, et l’industrie nous propose de nombreux produits pour célébrer le flocon en nous. Faisant reposer la singularité sur l’enflure de l’ego, elle insuffle des désirs dont on croit être à l’origine. Untitled (Snowflakes series), c’est peut-être la grenouille boursouflée de la fable et sa pompe, l’expression de l’individualité comme redoublement d’un substrat caché, le processus de production d’un gros flocon, bien lourd et bien lesté. La chercheuse Nancy Knight aurait découvert deux flocons identiques, pinçant le point limite qui distingue le même et l’autre. Untitled (Snowflakes series), s’agit-il d’un même corps cisaillé en son milieu par un garrot, anneau contractile de la division cellulaire : où existe-t-il, réparti en deux corps distincts ? Ou sont-ce deux sphères autonomes, rapprochées par un rond de cuir – organes abouchés qui mettraient en commun leurs substances… et leurs identités ? La greffe, possible transfert de personnalité du prélevé au receveur, a mis en crise la superposition du «corps machine» au corps ressenti.
Son prochain comme soi-même, soi-même comme un autre, être un corps ou l’avoir, mais aussi le réel et son double : Untitled (Snowflake series) matérialise un point de bascule, dont nous ne savons s’il est formation ou dilution d’identité, fusion ou fission nucléaire, continuité ou rupture entre les catégories que nous élaborons pour aménager notre vision du cosmos.
Un problème fondamental soulevé par l’abstraction est de savoir si elle renvoie à une réalité distincte ou à une manière de voir. Doublure du monde, elle ne flotte pas au-dessus – elle le touche : et dans ce contact, sa fonction interprétative tracte avec son rôle prédictif. L’exposition est bâtie sur ce circuit fermé qui renvoie d’une pièce à l’autre, d’une sphère à l’autre, à travers la valve, le portail ou le goulot qui éjectent du circuit ce qui ne passe pas : la respiration en vase clos d’un bouche-à-bouche. À la date du 06.04.2024, un poumon est encore rose, l’autre est noir.
À une date ultérieure, il y aura le même air partout, chaque pôle se sera engendré dans l’autre. Combien de temps reste-t-il pour bifurquer ?
Estelle Marois
Avril 2024
Christophe de Rohan Chabot (1986), vit entre Paris et Berlin.
Sa dernière exposition personnelle «Pika – Bunny» a été présentée la galerie Shore (Vienne) en 2023.
Son travail a été présenté lors d’expositions personnelles au Confort Moderne (Poitier), 032C Workshop (Berlin), Flatmarkus (Zurich), Heidi (Berlin) duo, Etablissement d’en face (Bruxelles), Gaudel de Stampa (Paris), TG (Nottingham), Treize (Paris), Shanaynay (Paris). Il a aussi participé récemment à une sélection d’expositions collectives au Mac Val (Vitry), CAPC (Bordeaux), Friart Kunsthalle (Fribourg), Baleno International (Rome), Cocotte (Treignac), Mécène du sud (Montpellier), Shore gallery (Vienne), Exile gallery (Vienne), Tonus (Paris), Galerie Bernard (Zurich), Frac Île de France-Le Plateau (Paris), Wiels (Bruxelles).
K. Desbouis, né en 1993 en France, vit et travaille à Lisbonne.
Son travail a récemment été présenté au CAPC (Bordeaux), Sentiment (Zurich), Futura (Prague), Crèvecoeur (Paris), Noah Klink (Berlin), Parliament (Paris), In Extenso (Clermont-Ferrand), Shmorevaz (Paris), Des Bains (London), Maison Louis Carré (Bazoches), Treignac Projet (Treignac), June Art Fair (Basel), Palais de Tokyo (Paris).
Il fera prochainement l’objet d’une exposition personnelle à Timeshare (Los Angeles).
Un ensemble de ses œuvres fait partie de la collection du Frac Île-de-France depuis 2022.
Il a récemment coréalisé avec Camille Aleña le film ”Salt Bath”, dont la sortie est prévue fin 2024. Ils travaillent actuellement ensemble sur un clip musical mettant en scène la siffleuse australo-américaine Molly Lewis.
Il est l’éditeur du magazine Suckcess.
ENGLISH VERSION
06/04/2024
an exhibition by Christophe de Rohan Chabot with K. Desbouis
text by Estelle Marois
06.04.2024 opens on 11 April 2024. It’s a date that gives Christophe de Rohan Chabot’s exhibition its title, with a bureaucratic aridity that reduces it to anecdote. But when a date turns into a title, the title creates a buzz. A date suffices to make up a teaser, a trigger for excitement, the emphasis of which lies solely in the suggestive virtuality of a terse, restrained formula. The ‘save the date’ is the measured promise of something out of this world. The exaltation is all the more provocative given the fascination for numbers: as the operator of encryption systems, they slip into the art of divination; they become the valve between us and the immeasurable.
The approach here is as much empirical as speculative: throughout controlled placement, formal economy, and descriptive titles, 06.04.2024
is planned with the rigour of an experimental protocol. The clinical sharpness of the works’ backgrounds allows the signs to stand out, as if
on plexiglas microscope slides or aluminium dissection boards. But there is mystery to neutrality, and Christophe seems to have kept it as the starting point for his research. The black background often comes forth in his work, as a camouflage that hints at no presence other than the dissolution of an uncountable and unnameable entity within the flat tint. Even the golden background of Untitled (rhinestones, gold, aluminium) merges pictorial and physical lights on its surface, according to iconographic principles – spreading everywhere and simultaneously, in other words, from no source. Each black background has been given a different texture. Untitled (black aluminium) offers a matt, impenetrable and turned-off screen. Here’s a camouflage image, which surface smoothing has absorbed the grains. Untitled (black frame, plexiglass, black printed foil) is a reflective square. The pre-existing load, diffused beneath the opaque surface, is doubled by a projection on the surface of the plexiglass. By trying to see better, by isolating the grain, we have thickened the mystery. What’s more, one pixelates in order to blur, then reconstitutes by integrating similar images, taking us further away from the source image. The pixel buries its secrets forever under the slab of a uniform flatness, doubled as a simulacrum. Finally, the rhinestones in Untitled (rhinestones, silver, black, heart) are grouped together in a black rectangle, like many LCD pixels or LED diodes. A heart, cropped from an enlarged pictured found on the internet, exposes the grain of its contours. The image unravels its structural paving, dissecting it into thousands of units, each of which can be broken down.
A place that intrigues Christophe is the duty free area of an airport terminal. The works’ black and aluminium frames act as security or boarding gates, confining a monitored space. The pieces resembling screens operate as portals, leading to deceptive horizons: indeed, airport signage uses the same graphic codes to both inform and promote. The black-yellow-white trichromatism of flight information panels merges with the black and gold hues of cosmetics departments and the glitter of jewellery stalls. Upstream, Untitled (Ass – red – black glossy) makes itself known, as a signpost or a logo (this attention-grabber whose brutal immediacy Christophe accentuates by an obscene textualisation). The traveller’s itinerary is compressed into the customer experience. We are in a ‘place-image’, whose meanders, shimmerings and ambivalences both round off and conceal the controlled grid. This is what the exhibition exhumes, just as it recalls, through the formats of the four works in the second room, the skilful standardisation of luggage, signs and clothing, which we are presented under the guise of diversity. As an international zone where individuals connected to the whole world’s time zones meet at a given moment, the duty free area compresses space-time, providing a total testing ground for the abstraction of general laws.
K. Desbouis presents Untitled (Snowflakes series) in the first room, which is ‘preposed’ to the experimental space as if it were its hypothesis. The work consists of two balls of the same size, covered in fur, with a leather belt looped between them. The material, the puffy shape and the soft texture of this literal double ‘furbag’ take us into the realm of the excessively cute, that of the comforting object (cuddly toy) or body (pet) that is entirely at our disposal. Perhaps it’s a dog toy, soft and chewable at will – in the vague shape of a bone, without it being clear whether it’s the toy’s owner or the owner’s owner who enjoys it. In this submission to our uncertain and canine pleasure, the collar becomes a BDSM accessory: it strangles this grotesque, swollen, carrion-like pooch, and it arouses, like the fluffer of a porn film crew, who is the real stimulant, the backstage prompter, the shadow double.
Untitled (Snowflakes series) is indeed all about the double. Each snowflake is unique, and the industry offers us numerous products to celebrate the snowflake in us. By basing singularity on the swelling of the ego, it instils desires that we believe we created. Untitled (Snowflakes series) is perhaps the bloated frog of the fable and its pomp, the expression of individuality as a duplication of a hidden substratum, the process of producing a heavy, weighted flake. Researcher Nancy Knight is said to have discovered two identical flakes, pinching the boundary point that distinguishes the same from the other. Untitled (Snowflakes series), is it one body sheared in the middle by a tourniquet, the contractile ring of the cell division process – and where does one exist, once divided into two distinct bodies? Or are there two autonomous spheres, brought together by a leather ring – joined organs pooling their substances… and their identities? Transplantation, the possible transfer of personality from a donor to a recipient, has thrown into crisis the superimposition of the ‘machine body’ on the felt body. Your neighbour as yourself, oneself as another, to be a body or to have a body, but also the real and its double: Untitled (Snowflakes series) materialises a tipping point. What we don’t know is whether it is identity formation or dilution, nuclear fusion or fission, continuity or rupture between the categories that we elaborate to arrange our vision of the cosmos.
A fundamental problem raised by abstraction is whether it refers to a distinct reality or to a way of seeing. As a lining for the world, it doesn’t float above it – it touches: and in this contact, its interpretative function traffics with its predictive role. The exhibition is built around this closed circuit that leads from one room to another, from one sphere to another, through the valve, portal or spout that ejects from the circuit what does not pass through: the locking of a mouth-to-mouth breathing. On 06.04.2024, one lung is still pink, the other black. At a later date, there will be the same air everywhere, each pole having spawned from the other. How much time is left to bifurcate?
Estelle Marois
april 2024
Christophe de Rohan Chabot (1986) lives between Paris and Berlin. His last solo exhibition “Pika – Bunny” was presented at the Shore Gallery (Vienna) in 2023. His work has been shown in solo exhibitions at Confort Moderne (Poitier), 032C Workshop (Berlin), Flatmarkus (Zurich), Heidi (Berlin) duo, Etablissement d’en face (Brussels), Gaudel de Stampa (Paris), TG (Nottingham), Treize (Paris), Shanaynay (Paris). He has also recently taken part in a selection of group exhibitions at the Mac Val (Vitry), CAPC (Bordeaux), Friart Kunsthalle (Fribourg), Baleno International (Rome), Cocotte (Treignac), Mécène du sud (Montpellier), Shore gallery (Vienna), Exile gallery (Vienna), Tonus (Paris), Galerie Bernard (Zurich), Frac Île de France-Le Plateau (Paris), Wiels (Brussels).
K. Desbouis, born in 1993 (France), lives and works in Lisbon.
His work has been seen at CAPC (Bordeaux), Sentiment (Zurich), Futura (Prague), Crèvecoeur (Paris), Noah Klink (Berlin), Parliament (Paris), In Extenso (Clermont-Ferrand), Shmorevaz (Paris), Des Bains (London), Maison Louis Carré (Bazoches), Treignac Projet (Treignac), June Art Fair (Basel), Palais de Tokyo (Paris).
He will soon have a solo show at Timeshare (Los Angeles).
A group of his works has been part of the Frac Île-de-France collection since 2022.
He recently co-directed with Camille Aleña the film ”Salt Bath”, scheduled for release in late 2024. They are currently working together on a music video featuring the australo-american whistler Molly Lewis.
He is the editor of Suckcess magazine.